Extrait du journal de M. le Comte d’Orvilliers depuis la rencontre de l’armée anglaise jusque et compris le combat

 

Lundi 27

Relation du Combat

A 4 heures du matin le vent à 0. avec apparence de temps favorable, les ennemis étant à Est Nord Est 4° E, environ 2 lieues ½ de distance, j’ai fait faire le signal à l’armée du Roi de se rallier dans l’ordre de bataille naturel, l’armée anglaise tenant toujours les armures à bâbord, mais observant qu’elle élevait son arrière garde au vent et voulant m’assurer de son intention, en même temps m’approchant plus près d’elle à 9 heures j’ai fait revirer l’armée lof pour lof par la contre marche, ce mouvement a été très long et m’a fait perdre au vent un peu plus que je ne l’avais pensé, à peine l’armée a-t-elle été formée dans l’ordre de bataille, que j’ai été confirmé et ai vu clairement que le dessein de l’amiral Keppel était de frapper sur mon arrière garde et de prolonger ma ligne au même bord ; alors j’ai fait virer toute l’armée ensemble avec ordre de se former dans l’ordre de bataille inversé, par là je me suis à même de rompre son dessein, de porter du secours à Mgr le Duc de Chartres, et de prendre sur l’amiral Keppel la position qu’il voulait prendre sur moi. L’armée du Roi s’est mise en bon ordre sur cette ligne à dix quart largue, et lorsque la tête des ennemis s’est présentée pour combattre par derrière l’escadre bleue, elle l’a trouvée à l’autre bord en bataille comme en réserve pour le moment et les escadres blanche et blanche et bleue courant à dix quart largue et trop serrés au bord opposé pour pouvoir entreprendre de les traverser. L’amiral Keppel a donc pris alors le parti de forcer et de prolonger l’armée française et de combattre à bord opposé ; conséquemment le feu a commencé à l’escadre bleue qui faisait notre avant-garde et a successivement continué dans toute la ligne de sorte que, chaque vaisseau français a donné sa bordée et a reçu celle de chaque vaisseau ennemi ; le feu a été très vif de part et d’autre, celui de l’armée du Roi m’a paru néanmoins mieux servi que celui de l’armée anglaise, mais la position de cette dernière sous le vent était plus avantageuse pour pointer les canons et servir la première batterie, voulant toujours la priver de cet avantage, j’ai fait faire signal à l’escadre bleue d’arriver pour un mouvement successif et ensuite à toute l’armée de se ranger à l’ordre de bataille, l’armure à tribord, ce mouvement qui dans la suite a été très bien exécuté, a été cependant trop retardé pour pouvoir suivre le serre fil et prolonger sous le vent de queue à tête l’armée anglaise comme je me l’étais proposé. Il n’est pas extraordinaire que ce mouvement qui était du moment et que l’occasion a fait naître, n’ait pas été parfaitement saisi dans le premier moment, mais Mgr le Duc de Chartres ayant pris la tête de la ligne, ce Prince admirable est venu me passer à poupe pour me demander mon intention , je lui ai répondu, qu’elle était de continuer l’ordre de bataille renversé en passant sous le vent de l’ennemi pour lui ôter l’avantage de sa position ; ce qui a été promptement exécuté ; cette évolution a arrêté l’amiral Keppel dont l’armée avait déjà reviré vent de vent par la contre marche, et se portait sur la queue de notre armée en courant en ligne à dix quart largue, cet amiral ayant rencontré notre armée en bataille et opposé à sa route, a été forcé à un mouvement rétrograde, il a profité de sa position au vent de l’armée du roi pour rallier la sienne à l’ordre de bataille tribord qu’il est parvenu à former avec le temps.

L’armée du Roi lui a toujours présenté le combat dans le meilleur ordre sous le vent depuis deux heures après midi jusqu’au lendemain, mais cet amiral n’a pas jugé à propos de l’accepter et il a profité de l’obscurité de la nuit, pour faire sa retraite en cachant les feux, quoique l’armée du Roi ait conservé les siens pour lui marquer sa position.

Pour extrait de journal d’Orvilliers

source : CARAN, cote MAR/B/4/137